Parti communiste français - Section de Montlouis
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BOLKESTEIN : UNE DIRECTIVE QUI CRAINT LA LUMIERE

Le débat public qui s'est développé sur la directive Bolkestein a considérablement retardé son adoption, prévue en 2005.
Ses opposants espèrent susciter une mobilisation capable de faire dérailler ce texte ultralibéral.

Tout commence le 13 février 2003, au Parlement européen. Ce jour là, les eurodéputés adoptent, sur proposition de la Commission Européenne, une résolution intitulée « Réactualisation 2002 sur la stratégie pour le marché intérieur. Tenir les engagements ». Ce texte est un feu vert à l’élaboration de ce qui deviendra la « directive sur la libéralisation des services dans le marché intérieur ». La résolution exprime le soutien « vigoureux » des parlementaires européens aux « initiatives destinées à créer un marché intérieur des services », fait du « principe du pays d’origine » une base essentielle pour l’achèvement du marché intérieur des biens et services et « se félicite des propositions visant à créer un instrument horizontal pour garantir la libre circulation des services».

Moins d’un an plus tard, le 13 janvier 2004, la Commission adopte un projet de directive élaboré par le commissaire néerlandais Frits Bolkestein, ancien président de l’internationale libérale. Pierre angulaire de ce projet de directive : le très controversé « principe du pays d’origine », véritable coup d’accélérateur légal aux pratiques de dumping social et réglementaire qui menace de dynamiter les droits et protections sociales. Le projet passe comme une lettre à la poste, avec l’assentiment des commissaires français Pascal Lamy et Michel Barnier. Noëlle Lenoir, alors ministre des Affaires Européennes, apporte aussitôt son soutien « très fort » à l’initiative.

Le 5 juin 2004, les syndicats belges, premiers à alerter sur les dangers de cette directive,rassemblent 8 000 personnes à Bruxelles pour demander son retrait. Trois jours plus tard, l’humanité titre « Un missile nommé Bolkestein ». Longtemps elle sera le seul média à informer sur cette directive et à la dénoncer.

Durant la campagne des européennes, le PCF parle d’un « pavillon de complaisance appliqué à 70% de l’économie ». En novembre, le Conseil d’Etat juge le principe du pays d’origine compatible avec la législation française. De son côté, le successeur de Frits Bolkestein dans la commission Barroso, l’irlandais Charlie Mc Creevy, défend ce principe comme « la clé de voûte de la directive ».

Mais dès la fin décembre, à la faveur du débat que réussissent à imposer petit à petit en France les partisans du « non » au projet de constitution, la directive commence à soulever le scepticisme d’une opinion traumatisée par la déferlante des délocalisations. L’assemblée des régions d’Europe exprime son inquiétude. Des scandales éclatent autour de cas d’entreprises faisant appel à des sous-traitants en cascade exploitant des ouvriers de l’est ou du sud de l’Europe en faisant fi de la législation française et aux mépris des droits les plus élémentaires des salariés. Face à cette épine dans le pied du « oui », le président de la Commission européenne, José Barroso, appelle les dirigeants français à « lever les malentendus ».

Sous pression, Jacques Chirac monte au créneau pour sauver le « oui » et assure qu’il n’est pas question pour la France d’accepter le maintien du principe du pays d’origine. Dès le mois de février, il demande une « remise à plat » du projet de directive pour éviter « tout risque de dumping social, fiscal ou réglementaire ». La ministre des Affaires Européennes, Claudie Haigneré, la juge « inacceptable » en l’état. Jean-Pierre Raffarin promet à la tribune de l’Assemblée que la France usera de « tous les moyens pour s’y opposer ». Réponse de la Commission Européenne : il est hors de question de retire la directive.

En mars, les dirigeants de l’UE mettent en scène un Conseil européen destiné à rassurer l’opinion française sur la directive et à contenir ainsi l’irrésistible montée du « non ». Il est question d’une « révision ». Le 19 mars, prés de 80 000 personnes venues de toute l’Europe défilent dans les rues de Bruxelles à l’appel de la Confédération européenne des syndicats, de partis politiques et d’organisations altermondialistes pour dire « non » à la directive. En avril, Frits Bolkestein vient en France pour défendre le projet dont il est le père et mener campagne pour le « oui ». L’ultralibéralisme décomplexé de l’ex-commissaire aura pour effet de renforcer encore l’opposition au projet de directive comme au projet de constitution.
Au parlement européen, l’eurodéputée allemande Evelyne Gebahrt, chargé de la rédaction d’un rapport sur la directive services, propose de préciser que celle-ci n’affecte en aucun cas le droit du travail. Une proposition jugée « satisfaisante » par Paris. La directive suit son chemin parlementaire, ce qui n’empêche pas Jacques Chirac d’affirmer le 26 avril, qu’elle « n’existe plus ». L’opposition continue pourtant à grandir, à mesure que s’affirme le « non » à un projet de constitution qui institutionnalise lui aussi le sacrifice des droits des salariés au nom de la libre circulation des services.

Le 29 mai, le « non » l’emporte en France. Commentaire, dés le lendemain, du commissaire au Marché intérieur Mc Creevy : ce résultat n’aura aucune conséquence sur la directive services. Sonné par le « non », Chirac appelle le gouvernement en juillet, à exercer « une vigilance toute particulière » sur le dossier.

En octobre, des désaccords persistants au sein de la commission du Marché intérieur, théâtre d’une offensive, des libéraux conduisent au renvoi de l’examen de la directive en séance plénière du Parlement européen à « début 2006 ». A Paris, à l’appel des partisans du « non » au projet de constitution, la Mutualité fait le plein contre la directive, témoignage d’une mobilisation toujours forte.

En décembre, Tony Blair clôt la présidence britannique de l’UE sans avoir mené à bien son projet de faire adopter au plus vite le texte dont l’examen par l’ensemble des eurodéputés est finalement fixé au 14 février. Une date que les opposants à la directive ont eux aussi retenue…


Deux ans après, la directive n’a pas changé

Par rapport au texte adopté en janvier 2004 par la Commission, le texte sur lequel se sont prononcés les eurodéputés conserve le dangereux principe du pays d’origine et menace de nombreux services publics. Examen en détail.

Deux ans après son adoption par la Commission, la directive libéralisant les services dans l’UE arrive en session plénière du Parlement européen quasiment inchangé. Ni les promesses d’une « remise à plat » du texte, formulée par Jacques Chirac en mars 2005, ni les amendements adoptés par la commission Marché intèrieur (IMCO) du Parlement en novembre dernier n’ont atténué la portée et les dangers du projet. Au contraire, la rapporteuse PSE de la directive, Evelyne Gebhardt, a jugé que le texte sur lequel se prononceront les députés européens le 14 février était sur de nombreux points « pire que la proposition initial » du commissaire Frits Bolkestein (les Echos du 23/11/05). Gebhardt tentait encore, fin janvier, de convaincre les conservateurs du PPE et les libéraux de l’ALDE d’accepter certains de ses amendements pourtant très limités.

L’affrontement droite-gauche porte sur deux points majeurs du projet. Le premier concerne le champ d’application de la directive. Après les votes en IMCO, et le rejet d’un amendement excluant tous les services publics du texte, les seules activités protégées seraient la santé et les services sociaux, ainsi que les jeux de hasard, la culture et l’audiovisuel. Resteraient donc dans le viseur de la directive des pans entiers du service public marchand : l’eau, l’énergie, le ramassage des ordures, voire l’éducation qui n’est pas explicitement exclue du champ d’application. Or l’un des travers majeurs de la directive réside dans ce que la libéralisation devient la règle, et la protection d’exception : si un pays modifie sa législation pour faire basculer un service non marchand (SIG dans le jargon européen) a priori exclu de la directive, dans le secteur marchand (SEIG), cela pourrait se répercuter dans les pays tiers, par le biais du principe du pays d’origine. En tous cas, l’obligation d’ouvrir les marchés rendrait quasiment impossible l’organisation de services publics obéissant à des critères sociaux, environnementaux et de qualité, définis par les collectivités compétentes, au profit d’une concurrence effrénée.



Le second point d’affrontement porte sur le principe du pays d’origine selon lequel, dans le projet initial de la commission, un prestataire de services installé dans un pays de l’UE pouvait librement offrir ce même service dans un autre Etat membre. Ce principe, qui a provoqué de grandes inquiétudes durant la campagne référendaire à cause des risques de dumping social et fiscal qu’il comporte, n’a été que très légèrement amende par la commission Marché intérieur. Les eurodéputés de droite ont refuse le compromis d’Evelyne Gebhardt selon lequel le principe du pays d’origine devait s’appliquer pour l’accès au marché, mais que l’exercice du service devait se faire selon les règles du principe de destination (un compromise que la GUE-GVN jugeait déjà trop favorable à la droite). Le principe du pays d’origine est donc maintenu dans le texte que sera soumis aux eurodéputés, même si quelques garanties ont été arrachées en matière de contrat et de responsabilité.

Dans un souci déclaré de compromis, la droite a cependant accepté que le contrôle de la prestation soit assuré par le pays d’accueil et non le pays d’origine : une situation ubuesque qui va voir les autorités compétentes d’un pays, par exemple la France, vérifier si le service correspond à la législation d’un autre pays, par exemple la Lettonie. La seule avancée concerne le droit de travail : tout salarié embauché dans un pays tiers sera soumis aux normes sociales en vigueur dans ce pays. Mais cette garantie semble déjà fragile : si le service est assuré par un artisan indépendant, la définition du prix reste libre. Or, on voit déjà dans certains pays, particulièrement la Hongrie, que certaines entreprises choisissent de ne plus salarier leurs employés mais d’en faire des « entreprise individuelles » à qui elles achètent un service, se dérobant ainsi aux charges sociales et aux protections dont bénéficient les salariés. Un tel schéma appliqué au niveau européen aurait des effets destructeurs tant sont grands les écarts de revenus entre, par exemple, l’Autriche et la Slovaquie voisine. L’espoir de la gauche réside maintenant dans la recherche, en session plénière, d’une majorité différente de la commission Marché intérieur. Evelyne Gebhardt semble persuadée qu’il est possible de faire voter son amendement différenciant l’accès au marché de l’exercice du service, et d’élargir le champ des services publics exclus de la directive. Des garanties auxquelles ne croient pas la GUE-GVN et certains élus Verts et PSE, pour qui seul le rejet pur et simple de la directive est souhaitable.


CHRONOLOGIE

13 janvier 2004 : La commission Prodi adopte une proposition de directive relative aux services dans le marché intérieur, élaborée par le très libéral commissaire néerlandais Frits Bolkestein.

4 juin 2004 : A l’appel des syndicats belges et allemands, 8 000 personnes manifestent à Bruxelles contre la proposition de directive.

8 juin 2004 : L’Humanité titre « La bombe Bolkestein contre le modèle social » et dévoile le texte du projet de directive en France.

25 novembre 2004 : La réunion, à Bruxelles, des ministres chargés des questions de compétitivité se conclut sur un désaccord sur le texte. Les Etats membres se disent cependant « disposés à travailler sur la base » du principe du pays d’origine.

1er décembre 2004 : La ministre française déléguée aux Affaires européennes, Claudie Haigneré, assure que la France négociera de manière « ferme mais constructive » la proposition de directive.

19 mars 2005 : A l’appel de la Confédération européenne des syndicats, 80 000 salkariés manifestent à Bruxelles contre le projet de directive.

22 et 23 mars 2005 : Au Conseil européen, Jacques Chirac, sous pression de la montée du « non » à la constitution, réclame une « remise à plat » de la directive et affirme que « ce texte est inacceptable pour la France comme pour d’autres partenaires européens ». La France, déclare-t-il, « exclut » l’idée de maintenir le principe du pays d’origine.

5 et 6 avril 2005 : A Paris pour défendre son projet de directive, Frits Bolkestein appelle à le dissocier du débat sur la constitution.

6 avril 2005 : L’eurodéputée allemande Evelyne Gebhardt, chargée de rédiger le rapport du Parlement européen sur le projet de directive, annonce qu’elle va proposer l’abandon du principe du pays d’origine.

13 avril 2005 : Des électriciens CGT d’EDF coupent l’électricité dans la résidence secondaire de Frits Bolkestein, à Ramousies (Nord), prés de Maubeuge, pour « défendre le service public, contre le libéralisme ».

14 avril 2005 : Jacques Chirac parle de « nouvelles propositions tout à fait acceptables et raisonnables » pour la révision de directive Bolkestein.

26 avril 2005 : « La directive Bolkestein n’existe plus ! » affirme Jacques Chirac.

20 mai 2005 : L’ex-commissaire européen Pascal Lamy accuse les opposants à la directive Bolkestein de « xénophobie ».

29 mai 2005 : Victoire du « non » au projet de constitution européenne en France.

6 juin 2005 : Catherine Colonna, ministre française déléguée aux Affaires européennes, demande une « remise à plat » de la directive.

20 juillet 2005 : Jacques Chirac appelle le gouvernement à une « vigilance toute particulière » sur la directive.

4 octobre 2005 : Les eurodéputés de la commission du Marché intérieur du Parlement européen, qui échouent à trouver un consensus, repoussent l’examen du texte et du rapport de l’allemande Evelyne Gebahrt au 21 novembre.

22 novembre 2005 : La commission du Marché intérieur approuve, par 25 voix contre 10 et 5 abstentions, le projet de directive remanié qui doit être soumis aux eurodéputés en réunion plénière.

16 décembre 2005 : Le Conseil européen réaffirme, à Bruxelles, l’objectif d’ « achever le marché intérieur des services » par l’adoption de la directive.

9 janvier 2005 : « Nous avons besoin d’une directive sur les services ambitieuse et nous le ferons », déclare José Barroso lors d’une conférence de presse commune avec le chancelier autrichien Wolfgang Schüssel pour lancer la présidence de l’UE par l’Autriche.

 

La gauche veut continuer la bataille antilibérale

La réaction à Strasbourg de trois députés européens.

Kartika Liotard (GUE-GVN)


« Le PPE et le PSE ont accepté un compromis qui ne donne aucune garantie aux travailleurs et aux consommateurs. Il est aussi écrit que les États membres peuvent prendre des mesures pour protéger l’environnement, mais à chaque fois qu’un amendement pouvait clarifier dans quelles conditions, la majorité PPE-PSE l’a rejeté. Ce n’est pas la première fois que le Parlement européen est coupé de la population, mais là c’était frappant : tout a été décidé dans la "chambre noire", entre les chefs des principaux groupes... Nous allons reprendre la bataille en commissions parlementaires. La directive n’a pas reçu une large majorité, ce n’est pas fini. »
Françoise Castex (PSE)


« Toutes les manifestations de ces derniers mois, les débats publics, la pression citoyenne n’auront pas été inutiles. Le texte adopté, même si je ne l’ai pas voté, est différent du projet initial. Et au sein du groupe PSE, les députés sont sensibles à ces mobilisations. Nous, socialistes français, avons aussi fait bouger les choses : il y a un an encore, certains au PSE défendaient le principe du pays d'origine... Maintenant, il faut que la mobilisation se poursuive et change de cible. Chacun dans nos pays, il faut concentrer la pression sur les chefs d’État et de gouvernement qui seront les prochains à se prononcer. Chirac et Villepin doivent écouter les syndicats et les organisations comme ATTAC, qui se sont battus contre la directive. On peut encore faire bouger les choses, protéger davantage la culture, le logement social, la formation. »
Pierre Jonckheer (Verts-ALE)


« Malgré quelques points positifs sur le champ d’application et le principe du pays d'origine, la directive reste insuffisante sur les SIEG et accroît l’insécurité juridique. Maintenant, le Parlement européen perd la main et c’est la Commission qui va récupérer le travail. José Barroso et Charlie MacCreevy (chargé du Marché intérieur) ont dit qu’ils attendaient une large majorité pour respecter le vote du Parlement, mais sans dire sur quels points. Leurs intentions sont floues. Je trouve regrettable que, face à la Commission, le Parlement européen perde ce qui constitue sa force et son intérêt : sa capacité à dégager des majorités alternatives pour mettre en échec les projets qu’il juge mauvais. La coalition SPD-CDU en Allemagne ne nous sert pas : le Parlement européen est en train de s’aligner sur le modèle d’un parlement national, comme chambre d’enregistrement de la majorité. »
 

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